Le président Joe Biden a décidé qu’il n’y aurait plus un seul soldat américain sur le sol afghan au 11 septembre 2001, soit vingt ans après les attentats islamistes de New York et de Washington. C’est une décision qu’a publiquement regrettée le chef d’état-major des armées de Sa Majesté, meilleures alliées des forces américaines depuis plus d’un siècle. Avec un sens tout britannique de l’understatement, le général Nick Carter a déclaré : « Ce n’est pas la sortie que nous espérions ».

A la Conférence de Bonn de décembre 2001, réunie un mois après le départ des talibans de Kaboul, les Américains, les Britanniques, et leurs alliés de l’Otan, avaient promis qu’ils allaient reconstruire, démocratiser et développer l’Afghanistan. La reconstruction a été très bien faite. Dans les mille milliards de dollars que les Américains ont dépensés pour ce pays en l’espace de 20 ans, il n’y a pas que de la dépense militaire. Il y aussi les magnifiques réseaux routier et téléphonique qu’ils ont construits. Il y a aussi les écoles, à nouveau fréquentées par les filles. Un indéniable développement économique a eu lieu. Le produit national brut a beaucoup progressé. Et l’opium (90% de la production mondiale) ne suffit pas à expliquer seul cette progression.

La démocratisation semble en revanche bien mal partie. En application des accords de Doha, signés sous Trump, les Américains vont laisser les autorités légales de Kaboul, seules face aux talibans. Washington préconise un partage du pouvoir. Cela revient à demander à des agneaux et à des loups de former ensemble un gouvernement.

Les Américains ont obtenu ce qu’ils cherchaient : l’assurance que l’Afghanistan ne serait jamais plus utilisé comme sanctuaire pour des combattants islamistes internationalistes, tels que ceux d’Al Qaïda ou de l’Etat islamique. L’Amérique a arraché aux talibans la promesse que jamais plus son territoire ne serait attaqué depuis l’Afghanistan.

J’ai personnellement souvent fréquenté les talibans, avant leur prise de pouvoir (septembre 1996 à Kaboul), pendant l’émirat islamique qu’ils avaient institué (1996-2001), et après leur départ de la capitale, lorsqu’ils se réfugièrent dans les zones tribales pakistanaises : ce ne sont pas des gens fiables. Je ne crois pas une seule seconde qu’ils respecteront leur parole. En 1962, la France s’est montrée naïve à l’égard des rebelles algériens du FLN. L’encre des accords d’Evian était à peine sèche qu’ils les violèrent, massacrant horriblement les harkis. J’ai bien peur que l’Amérique commette le même type d’erreur avec l’Afghanistan.

Les Américains auraient pu pourtant rester à moindre prix en Afghanistan, en conservant par exemple uniquement leur base aérienne de Bagram (30kms au nord-est de Kaboul). La menace de pouvoir devenir la proie permanente de drones, de chasseurs-bombardiers, ou de raids nocturnes de commandos de marine, a fait renoncer plus d’un candidat enturbanné à une chefferie djihadiste. En partant, les Américains ne feront pas que se retirer. Ils retireront aussi leur moral aux 174000 soldats de l’armée nationale afghane.

Quand ils auront reconquis l’intégralité du pouvoir en Afghanistan, les talibans se battront-ils contre les djihadistes internationalistes avec la même détermination que celle qu’a montrée Michael Collins en 1922, contre les indépendantistes irlandais radicaux, qui s’opposaient à son traité avec Londres ? Je ne le crois pas.

Les talibans feront subir à la société afghane émancipée le supplice du lacet de soie chinois : un étranglement inopiné, lent, progressif, définitif.

Le Pakistan voisin est aussi la victime d’un semblable étranglement islamiste. Les partis réclamant la charia sont toujours minoritaires aux élections, mais ils sont virulents, organisés, adeptes des manifestations violentes contre les institutions d’Islamabad. Le gouvernement du premier ministre Imran Khan (bel homme, ancien champion de cricket et ancien mari de la fille du milliardaire britannique Jimmy Goldsmith) vient de céder à leur intimidation en acceptant qu’il y ait un débat au Parlement pour savoir s’il convenait ou non d’expulser l’ambassadeur de France. Le crime de ce diplomate ? Etre le représentant d’une République dont le président a défendu le droit à la caricature. Triste Pakistan, qui ne cesse de s’éloigner de la communauté des pays civilisés… Son fondateur, l’avocat de Bombay au style très britannique, Muhammad Ali Jinnah, doit se retourner dans sa tombe.

Est-ce un réconfort ? Les islamistes pakistanais sont doués en géopolitique. Ils agressent la France, qui laisse une liberté totale à ses résidents musulmans, mais ils ménagent la Chine, qui enferme par centaines de milliers les jeunes ouïgours. C’est qu’ils ont compris que la Chine est le principal allié du Pakistan contre son rival indien…

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