On croit rêver. Voici un nouveau virus apparu à Wuhan il y a treize mois, qui a tué deux millions de personnes dans le monde depuis, et la Chine fait des histoires pour délivrer des visas aux scientifiques d’une mission d’enquête dépêchée par l’Organisation Mondiale de la Santé pour tenter de comprendre l’origine exacte de la maladie ! Même le médecin éthiopien qui dirige l’OMS, le docteur Tedros Ghebreyesus, élu en mai 2017 grâce au soutien de la Chine, s’est dit « très déçu », dans un communiqué publié à Genève le 5 janvier 2021.
Agence spécialisée de l’ONU pour la santé publique créée en 1948, l’OMS, qui comprend 194 Etats membres, est tout sauf une organisation antichinoise. Son souci de ménager la Chine populaire lui a même fait commettre une faute en décembre 2019 : elle a refusé de prendre en compte une alerte circonstanciée sur le danger du nouveau coronavirus, envoyée par le ministère de la Santé de Taïwan, sous prétexte que l’île n’est plus membre de l’OMS, ayant perdu son siège à l’ONU en 1971 en faveur de la Chine continentale. Au lieu d’examiner en urgence l’alerte en provenance de Taïwan, qui jouit de l’un des meilleurs systèmes de santé du monde, l’OMS a commis l’erreur de faire de la politique, perdant ainsi un temps précieux pour percer à jour le début d’une épidémie, qui allait bientôt se transformer en pandémie.
Cela fait des mois que l’OMS négocie avec la Chine les conditions d’une telle enquête internationale. N’est-il pas légitime qu’à une pandémie internationale réponde une enquête scientifique internationale, afin de prévenir la reproduction d’un tel fléau à l’avenir ? Mais, au dernier moment, le gouvernement de Pékin a freiné, refusant de délivrer les visas. Que cherche donc à cacher la Chine dans cette affaire ?
La Chine n’est pas censée se barricader face aux savants biologistes étrangers, puisqu’elle a accepté que ce soit les Français de l’Institut Mérieux qui lui construisent le laboratoire P-4 de l’Institut de virologie de Wuhan et puisque sa grande spécialiste des coronavirus des chauves-souris a été formée à l’Université de Montpellier. Dans la recherche médicale, les flux doivent être réciproques entre les grands centres scientifiques de la planète. Le premier savant qui trouve aura droit à un prix Nobel, mais il partage immédiatement ses trouvailles avec ses collègues étrangers. Les grandes revues scientifiques du monde sont, dans leurs statuts, à diffusion ouverte. La grande majorité des chercheurs et médecins biologistes chinois pensent d’ailleurs ainsi. Et lorsque surgit un problème médical nouveau (tel que le passage à l’homme, en Afrique en 2015, du virus Ebola, porté originellement par des chauves-souris puis par des singes), les chercheurs du monde entier coopèrent immédiatement pour régler le problème.
Au sein de l’Institut de virologie de Wuhan, la Chine faisait des recherches sur les possibilités de saut à l’espèce humaine de coronavirus portés par les chauves-souris. Elle ne s’en cachait pas : il y avait eu un reportage télévisé sur une grande chaîne chinoise relatant ces prouesses scientifiques. La zoonose que les biologistes chinois de Wuhan redoutaient et qu’ils tentaient de prévenir par leurs expérimentations sur les chauves-souris a-t-elle fini par survenir, à la faveur d’un accident de laboratoire ? Est-ce cela que la Chine cherche à cacher ? Est-elle tétanisée par le fait que des attachés scientifiques de l’ambassade américaine à Pékin avaient visité l’institut de Wuhan au début de l’année 2018, puis envoyé à Washington deux dépêches critiquant les conditions de sécurité du laboratoire P-4 ?
Pourtant, il n’y a aucun consensus chez les scientifiques occidentaux ayant étudié le génome du virus pour dire qu’il pourrait être le fruit d’un accident de laboratoire. C’est juste une possibilité. La thèse la plus largement partagée intuitivement par les savants est aujourd’hui celle d’une transmission naturelle à l’homme, mais dont on ignorerait le mécanisme.
Où se trouve l’origine du virus du Covid-19 ? La réalité est que personne n’en sait rien. D’où l’utilité d’une enquête scientifique internationale, même tardive.
On se perd en conjectures sur les raisons profondes des réticences du gouvernement chinois. Est-ce inhérent au système politique totalitaire de la Chine de cacher des choses ? Est-ce un système qui veut tout savoir de la vie et des opinions de ses citoyens, qui cherche à tout voir à l’extérieur de ses frontières ; mais qui ne veut donner d’elle-même au monde qu’une image lisse, et qui ne se laisse regarder par les étrangers que comme elle veut, quand elle veut et où elle veut ?
Incarnée par la « Nouvelle Route de la Soie », la stratégie économique du président chinois Xi Jinping est fondée sur encore plus de commerce avec le monde extérieur. Ne se rend-il pas compte qu’il la sabote en refusant toute transparence sur un fléau ayant affecté le monde entier ?