Signés à la Maison Blanche le 15 septembre 2020, les Accords d’Abraham sont deux nouveaux traités de paix entre Israël et des pays arabes, les Emirats arabes unis et l’île de Bahreïn. Après la normalisation avec l’Egypte en 1979 et avec la Jordanie en 1994, voici donc deux nouveaux Etats arabes avec lesquels Israël, première puissance technologique du Moyen-Orient, va pouvoir faire des affaires sans avoir à se cacher.
Le président Trump a qualifié ces accords d’historiques. Ils ne le seront que s’ils engagent une dynamique de paix au Levant. Car, en eux-mêmes, ils apportent peu : Israël et ces pays n’ont jamais été en guerre ; l’Etat hébreu leur livrait discrètement du matériel sensible de sécurité depuis plus d’une dizaine d’années. Mais un tel geste constitue indéniablement un pas dans la bonne direction, vers la fin du conflit israélo-arabe, vieux de trois quarts de siècle.
Dans la mesure où le Premier ministre israélien a accepté de suspendre son projet d’annexion de la vallée du Jourdain, ces Accords d’Abraham constituent la dernière chance d’appliquer, sur le territoire de l’ancienne Palestine mandataire (gérée par la Couronne britannique de 1923 à 1948), la fameuse solution des deux Etats. Un Etat juif et un Etat arabe, vivant côte à côte, en paix, et en bonne intelligence.
Cependant, les obstacles, réels ou potentiels, sont nombreux sur cette voie, qui semble celle du bon sens à la plupart des pays du monde, y compris aux Etats-Unis d’Amérique.
Le premier obstacle tient à la division des arabes de Palestine, qu’on a commencé à appeler « Palestiniens » il y a une cinquantaine d’années, après leur écrasement en Jordanie par les forces bédouines du roi Hussein, en septembre 1970. Aujourd’hui, les Frères musulmans du Hamas (qui contrôlent la bande de Gaza) s’opposent à la hiérarchie du Fatah (mouvement laïc fondé par Yasser Arafat) qui, depuis les accords d’Oslo de 1993, est à la tête de l’Autorité palestinienne administrant les villes de Cisjordanie occupée (par Israël après sa victoire militaire éclair de 1967). L’Etat hébreu n’a pas face à lui un seul interlocuteur palestinien, mais deux mouvements concurrents, forcément enclins à pratiquer une certaine surenchère.
Le deuxième obstacle est celui de la volonté politique en Israël. Les partis religieux comptent de plus en plus à la Knesset et pour eux il n’est pas question d’accorder aux Palestiniens des terres que Dieu a données au Peuple juif. Entre parties laïques, les concessions politiques sont toujours possibles. Entre mouvements religieux, elles sont impossibles. Car ils ne peuvent pas négocier ce qu’ils considèrent comme une terre sacrée (la Terre Promise pour les Juifs religieux, le Dar-el-islam pour les Frères musulmans).
Le troisième obstacle est celui de la faiblesse conjoncturelle de l’Exécutif à Jérusalem. Benjamin Netanyahou est affaibli par des procès en corruption et par la perception populaire qu’il aurait mal géré la crise du Covid. Alors qu’il a devant lui sa dernière année au pouvoir, le nationaliste de droite Netanyahou trouvera-t-il la force de caractère pour conclure un accord avec les Palestiniens et l’imposer ensuite aux membres du Likoud ? Avant lui, le Premier ministre Menahem Begin, bien qu’ancien membre du groupe terroriste de droite Irgoun, avait eu le courage d’accepter de décoloniser le Sinaï occupé, pour faire la paix avec l’Egypte. Il fut visionnaire car l’Egypte et Israël font aujourd’hui front commun contre le terrorisme islamiste et contre l’expansionnisme turc en Méditerranée orientale.
Par ailleurs, la CPI (Cour pénale internationale de La Haye), saisie par l’Autorité palestinienne, devrait se prononcer bientôt sur sa compétence à poursuivre les dirigeants militaires et politiques israéliens sur des crimes de guerre qui auraient été commis à Gaza ou en Cisjordanie. Israël conteste à la fois le fond et la compétence de la Cour, car l’Etat hébreu n’est pas adhérent au Statut de Rome et estime que la Palestine n’est pas un Etat au regard du droit international. Il serait contreproductif que la CPI cherche à faire arrêter les responsables israéliens au moment où ils multiplient les traités de paix avec les Etats arabes. En vertu d’un accord de coalition, le premier ministre d’Israël en 2022 devrait être l’ancien chef d’état-major de Tsahal : le harceler judiciairement n’aboutirait qu’à le rendre plus intransigeant.
Mais y a une chose très simple que les dirigeants israéliens doivent désormais comprendre : le jour où les Palestiniens seront lassés de demander un Etat viable contre la paix, ils demanderont l’égalité des droits dans un seul Etat. Et, à terme, la démographie aidant, cela signifiera la fin de l’Etat juif, tel que Theodore Herzl le conçut intellectuellement, et tel que David Ben Gourion le fonda pratiquement.