Le ministre des Affaires étrangères chinois a achevé dimanche 30 août 2020 sa première tournée européenne post-Covid. Après un passage en Norvège, où il a vanté les mérites d’une branche de la route de la soie qui passerait par l’océan Arctique, et des arrêts en Suède, aux Pays-Bas et en Italie, Wang Yi s’est rendu à Paris, où il a été reçu par Emmanuel Macron. Évitant Bruxelles, le ministre chinois a fini son voyage en Allemagne, pays qui préside actuellement l’Union européenne.
Le principal message qu’avait à passer Wang Yi aux Européens était simple: à la différence des États-Unis, la Chine demeure très attachée au multilatéralisme en diplomatie. Elle entend coopérer davantage sur les questions de lutte contre le réchauffement climatique, contre le terrorisme et contre la cybercriminalité. M. Wang a aussi assuré les Européens de sa bonne volonté quant à un accord sur les investissements étrangers, où les Allemands, les Français, les Italiens, les Néerlandais, les Suédois et autres nations du Vieux Continent verraient leurs intérêts un peu mieux légalement protégés en Chine qu’aujourd’hui. Le ministre a enfin mollement défendu l’ambition du géant des télécommunications Huawei d’emporter un morceau du marché de la 5G en Europe. À la différence de son homologue américain, le président français s’est abstenu de dire du mal des grands groupes technologiques chinois. Mais il n’a pas changé d’avis: pour Emmanuel Macron, il n’est pas question de confier des infrastructures aussi sensibles à des entreprises qui ne soient pas européennes.
Sur les dossiers de la liberté de Hongkong et de la minorité musulmane des Ouïgours, le chef de la diplomatie chinoise a invoqué les éternelles «questions de sécurité» avancées par Pékin. Il n’est pas certain qu’il ait réussi à convaincre ses interlocuteurs européens, mais il est reparti avec la conscience tranquille du travail bien fait. Car le but ultime de son voyage n’était pas l’Europe en elle-même, mais plutôt l’Europe en tant que variable d’ajustement dans la relation Pékin-Washington, la seule qui intéresse véritablement les Chinois.
Pour parler avec les Américains, le président Xi Jinping avait envoyé un communiste plus haut dans la hiérarchie du Parti rencontrer le secrétaire d’État des États-Unis. Le 17 juin 2020, Yang Jiechi, membre du bureau politique du parti et responsable de sa politique étrangère, avait fait en effet le voyage de Hawaï pour s’entretenir avec Mike Pompeo. Le voyage européen de Wang Yi n’a eu pour but que d’affiner la double stratégie américaine de la Chine face au résultat du scrutin présidentiel du mardi 3 novembre 2020.
Contrairement aux élites intellectuelles et médiatiques américaines de la côte est, les Chinois considèrent que Trump a plus d’une chance sur deux d’être réélu. Ils jugent efficace sa stratégie de se poser en défenseur de la loi et de l’ordre face à des démocrates accusés de laxisme. Trump leur a dit leurs quatre vérités à Davos en janvier 2018, il leur fait une guerre commerciale sans merci, mais c’est quand même leur candidat préféré. Les Chinois préféreront toujours un diable noir qu’ils connaissent à une cohorte d’anges immaculés, psychologiquement difficiles à cerner.
Car ils savent qu’un Trump réélu peut très bien décider de changer de cap à 180 degrés en 2021, et négocier un grand deal technologique et douanier avec Xi Jinping, en tête-à-tête. En revanche, les démocrates, menés par Joe Biden et Kamala Harris, voudront emporter l’adhésion des membres du Congrès avant d’envisager la moindre négociation avec Pékin. Ils se montreront exigeants sur les droits de l’homme, lesquels indiffèrent totalement Donald Trump.
Au cas où Biden serait élu, Pékin a déjà une stratégie toute prête: s’appuyer sur les Européens pour persuader la nouvelle équipe à la Maison-Blanche qu’il serait dangereux de tomber dans ce que Graham Allison a appelé le «piège de Thucydide» (l’affrontement inéluctable entre une puissance déclinante et une puissance montante, comme entre Sparte et Athènes au Ve siècle avant Jésus-Christ). Les Chinois ne souhaitent pas que se prolonge leur guerre froide avec l’Amérique. Ils comptent sur les Européens pour apporter la paix au cas où Biden gagnerait l’élection présidentielle. Ils ont remarqué que l’ancien vice-président d’Obama a écrit dans son programme de politique étrangère qu’il reprendrait une stratégie de consultation systématique avecles alliés traditionnels de l’Amérique.
Les Chinois se font-ils des illusions et espèrent-ils revenir à l’époque idyllique du début des années 2000, où ils pouvaient à la fois conquérir les marchés de l’Occident et lui voler impunément sa technologie? Non, car ce sont des réalistes. Ils savent que la grande confrontation technologique est là pour rester. Ils veulent juste gagner du temps et adoucir aussi longtemps que possible la guerre commerciale.