La présidence américaine qui s’achève a indéniablement affaibli le lien transatlantique qui unissait les Etats-Unis et les grandes démocraties d’Europe occidentale depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Donald Trump a non seulement émis des doutes sur la validité de l’article V de la Charte de l’Otan (qui prévoit le soutien militaire de tous les membres de l’Alliance Atlantique à l’un d’entre eux qui serait agressé de l’extérieur) mais il a aussi sapé les constructions diplomatiques édifiées en partenariat avec les Européens, comme l’accord nucléaire avec l’Iran du 14 juillet 2015 de Vienne ou l’accord de Paris sur le climat du 12 décembre 2015. Ce républicain, venu du monde particulier de l’immobilier new-yorkais, a affiché en diplomatie beaucoup de mépris pour le multilatéralisme, auquel les Européens restent profondément attachés. Lorsqu’il estime l’Amérique lésée sur un dossier commercial, il préfère recourir unilatéralement à des mesures punitives (droits de douane, sanctions, etc.) que soumettre le dossier à l’arbitrage de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce de Genève).

Certes, Donald Trump n’a pas commis d’énormes bourdes stratégiques comme certains de ses prédécesseurs (le Démocrate John F Kennedy avec la guerre du Vietnam, le Républicain George W Bush avec l’invasion de l’Irak), mais on ne peut pas dire qu’il ait amélioré, ni le prestige de l’Amérique, ni la paix dans le monde, ni la gestion planétaire des urgences environnementales et des océans. Maintenant qu’il traîne dans les sondages loin derrière son adversaire du parti démocrate pour le scrutin présidentiel du 3 novembre 2020, de nombreux Européens se mettent à rêver d’une nouvelle Amérique qui, pour eux, redeviendrait salvatrice. Ils ont tort. Avec Joe Biden, les Etats-Unis poursuivront la ligne, amorcée sous Obama, et simplement accentuée sous Trump, d’une Amérique qui s’occupe d’elle-même et de ses intérêts en premier.

Certes, le programme de politique étrangère que le candidat démocrate vient de publier dans la revue Foreign Affairs contient un certain nombre de douceurs à même de séduire les Européens. Une administration démocrate reprendrait une politique de contrôle puis de diminution des armements nucléaires, que Trump a sapée en dénonçant le traité Russie-Amérique sur les armes à portée intermédiaire (INF). Elle redonnerait de la vigueur au traité de limitation des armes stratégiques START. Elle reviendrait dans les accords de Vienne et de Paris. L’expression « en concertation avec nos alliés » revient en force dans le programme démocrate de politique étrangère. Elle est même utilisée en ce qui concerne la stratégie à adopter face à la Chine eu égard aux différends maritimes, commerciaux, technologiques que l’Occident a avec l’Empire du Milieu.

Cependant, l’Europe ne saurait attendre Joe Biden comme un sauveur. Une Maison Blanche démocrate n’aura pas pour priorité de régler les problèmes inhérents géographiquement aux Européens : l’expansionnisme turc en Méditerranée ; la radicalisation islamique au Sahel ; la poussée migratoire due à l’explosion démographique africaine.

Dans les années 1950, les Etats-Unis avaient fortement encouragé la renaissance politique et économique de l’Europe continentale. C’est seulement au début des années 1970 qu’apparurent une jalousie et un cynisme américains à l’égard de l’Europe. Ils devinrent flagrants après la décision américaine unilatérale du 15 août 1971 de suspendre la convertibilité en or du dollar et lorsque le secrétaire au Trésor John Connally osa répondre à une délégation européenne anxieuse : « Le dollar est notre monnaie, mais c’est votre problème ! ». Et, depuis, les Américains n’ont plus fait le moindre cadeau aux Européens.

Wall Street a été entièrement responsable de la crise financière de 2008-2009, qui a détruit des pans entiers de l’économie européenne. Mais l’administration Obama n’a jamais envisagé de payer des compensations aux Européens, ni même d’entendre leurs avis sur la meilleure manière d’éviter une réplique de cette catastrophe.

Il est vrai que personne n’obligeait les banques européennes à acheter les produits dérivés pourris proposés par la finance américaine et garantis AAA par les agences de notation financières, toutes américaines.

Si l’Europe veut être traitée d’égal à égal par les Etats-Unis – et pas seulement comme une variable d’ajustement dans leur rivalité stratégique avec la Chine -, elle devra faire de solides progrès dans quatre directions : la prévalence de ses lois sur les leurs ; une industrie de défense qui ne dépende jamais de la leur ; une capacité d’innovation technologique comparable à la leur ; un euro hissé au niveau du dollar comme monnaie d’échange et de réserve. Car, dans ces quatre domaines – juridique, militaire, technologique, financier -, les démocrates, comme les républicains, ne feront jamais le moindre cadeau aux Européens.

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