Yalta 1945 : les leçons de l’Histoire ; Colloque au Palais Livadia, 13 février 2020, allocution de Renaud Girard.

La France ne fut pas invitée à la Conférence interalliée de Yalta. Ce fut une gifle pour le Général de Gaulle, alors chef du gouvernement provisoire de la République française. Le général protesta dans un communiqué du 15 janvier 1945, indiquant que la France ne s’estimerait pas liée par les décisions d’une Conférence où elle n’était pas invitée.

Depuis le 18 juin 1940, de Gaulle n’avait qu’une obsession : rendre à la France son rang dans le monde, perdu à cause de la défaite de mai-juin 1940 et de l’occupation allemande qui suivit. Depuis Londres, où il est arrivé le 17 juin 1940, de Gaulle sait que la guerre va devenir mondiale, et que le nazisme sera défait. Mais il veut que la France figure parmi les vainqueurs. Or ceux-ci, à Yalta, vont le snober.

Mais si l’on analyse soigneusement la Conférence de Yalta sous l’angle de la France, elle représente davantage une humiliation sur la forme qu’une humiliation sur le fond.

  1. I) La frustration française sur la forme.

De Gaulle et les Français ont estimé qu’il était injuste que la France n’ait pas été invitée à Yalta.

Certes, battue rapidement sur son territoire par les armées allemandes en un mois au printemps 1940, sa participation militaire à la défaite du nazisme ne fut pas très importante, bien moindre que celle de l’Union soviétique, de l’Amérique ou de la Grande-Bretagne. Mais la France avait eu, au moins, le courage de déclarer, avec la Grande-Bretagne, la guerre à Hitler. A l’été 1939, Staline n’a pas déclaré la guerre à Hitler, mais il a fait un pacte avec lui. Et le 21 juin 1941, c’est l’Allemagne qui agresse la Russie, sans déclaration de guerre. Quant à l’Amérique, elle n’a pas non plus pris l’initiative de faire la guerre à l’Allemagne. En décembre 1941, c’est Hitler qui déclare la guerre aux Etats-Unis et non l’inverse.

En février 1945, il est clair que c’en est fini pour toujours du militarisme allemand. Or les Français ont payé un très lourd tribut à combattre le militarisme allemand lors de la première guerre mondiale. La France en sort victorieuse, mais épuisée. Le traité de Versailles de 1919 prévoit le désarmement de l’Allemagne. Mais le Sénat américain refuse de le ratifier en 1920 et tombe la garantie américaine de protéger la France (qui a accepté la demande de Wilson de ne pas aller jusqu’à Berlin et de ne pas annexer la rive gauche du Rhin). Quant à la Russie bolchevique, elle permet clandestinement à l’Allemagne de violer le traité, en permettant aux Allemands d’entraîner leurs chars et leurs avions sur le territoire russe. Pour ce qui est de la Grande-Bretagne, elle refuse de soutenir la France en mars 1936 dans son projet d’envahir la Rhénanie, que Hitler a remilitarisé, en violation flagrante du Traité de Versailles.

De Gaulle souhaitait effacer l’humiliation terrible de la défaite française de mai 40 et il a toujours œuvré pour que la France figure parmi les quatre grandes puissances victorieuses.

Il avait consenti les efforts nécessaires pour être invité à une Conférence interalliée : il était allé voir Roosevelt à Washington en juillet 1944, où il s’était parfaitement comporté, et, à New York, il avait été reçu en héros par le peuple américain. En décembre 1944, de Gaulle était allé voir Staline à Moscou et il lui avait fait d’importantes concessions, acceptant par exemple de reconnaître le Comité de Lublin comme représentatif de la population polonaise, alors qu’il ne l’était pas. Le président tchèque Benes, contraint et forcé, attendra le 31 janvier 1945 pour reconnaître le comité polonais de Lublin.

Tous ces efforts n’avaient pas empêché qu’on humilie de Gaulle. Mais le général eut bientôt moins de regrets : il a compris assez vite que les beaux engagements pris à la Conférence de Yalta ne tiendraient pas très longtemps. Contrairement à Roosevelt, de Gaulle n’a jamais été naïf face au système stalinien.

Par ailleurs, de Gaulle va comprendre, après la fin de la Conférence, que la France n’y a pas été si mal traitée sur le fond…

  1. II) Un contenu pas défavorable à la France

De Gaulle aurait souhaité que la rive gauche du Rhin revienne à la France, une demande que le général Foch avait déjà faite en vain en 1918. Il n’obtient pas gain de cause à Yalta. Cela n’est pas surprenant, car il s’agit quand même de terres germanophones.

En revanche, sur les autres points politiques importants, la Conférence de Yalta – où Churchill et Harry Hopkins, conseiller de Roosevelt prennent la défense de la France – ne se fait pas contre Paris. C’est à Yalta qu’est décidé que la France se verra attribuer un siège permanent au Conseil de sécurité de l’Onu. Par ailleurs, les Soviétiques finissent par accepter que la France se voit accorder une zone d’occupation en Allemagne (prise sur le territoire initialement attribué aux Anglais) et qu’elle participe au Comité quadripartite d’administration de l’Allemagne occupée.

On croit souvent que le partage, après la deuxième guerre mondiale, de l’Europe en deux zones d’influence, l’une anglo-saxonne, l’autre soviétique, s’est faite à la Conférence de Yalta de février 1945. En réalité, ce sommet en Crimée entre Staline, Roosevelt et Churchill n’a fait qu’entériner un partage déjà ébauché par Churchill et Staline le 9 octobre 1944, à Moscou. Ce jour-là, commence une conférence interalliée où il s’agit de forcer le gouvernement polonais en exil à Londres, détenteur d’une vraie légitimité populaire, à constituer un « front commun » avec un « Comité de Lublin » communiste, forgé de toutes pièces par le libérateur soviétique. Une semaine plus tôt, l’insurrection de Varsovie a été écrasée dans le sang par les troupes hitlériennes, qui déportent toute la population et dynamitent tout le centre de la capitale, maison par maison, alors que les forces russes, déjà parvenues sur la rive droite de la Vistule, ont l’ordre de ne pas bouger.

L’obsession de Staline, traditionnelle dans la politique russe, est de se constituer un glacis territorial et politique vers l’ouest, d’où sont venues, en trois siècles, quatre invasions (la polono-lituanienne, la suédoise, la française, l’allemande). Fidèle à lui-même, Churchill est obsédé par les Balkans. Il n’a pas réussi à convaincre Roosevelt d’y débarquer (afin d’y limiter la progression soviétique) et il a très peur que la Grèce (où se déploie une puissante résistance communiste) puisse tomber dans l’orbite de Moscou. La Grèce, c’est la Méditerranée et il compte bien la maintenir comme un grand lac britannique, de Gibraltar à Alexandrie. Alors Churchill fait un deal avec Staline, qu’il griffonne sur un bout de papier, qui a été conservé. Les deux leaders s’attribuent des taux d’influence respectifs sur les pays en passe d’être libérés des nazis. Churchill obtient un taux de 90% pour la Grèce, mais concède un taux d’influence de 90% à la « Russie » sur la Roumanie, pays où la résistance communiste est pourtant insignifiante. Pour la Bulgarie, ce taux descend à 75%. La Hongrie et la Yougoslavie se voient attribuer un partage à 50/50.

A Yalta, les Soviétiques sont en position de force. Ils obtiennent que le Comité de Lublin forme l’ossature du futur gouvernement de la Pologne. Pour Roosevelt, la priorité est de finir la guerre avec le minimum de pertes en vies américaines. Le président des Etats-Unis accepte de laisser l’armée Rouge fournir l’effort de guerre le plus lourd, quitte à lui abandonner une plus vaste zone d’occupation. Il affiche une naïveté confondante à l’égard de Staline, qu’il qualifie aimablement d’Uncle Joe. « Si je lui donne tout ce qu’il me sera possible de donner sans rien réclamer en échange, noblesse oblige, il ne tentera pas d’annexer quoi que ce soit et travaillera à bâtir un monde de démocratie et de paix », expliquera Roosevelt à Churchill. Les accords de Yalta prévoient des élections libres dans tous les Etats européens libérés et, en attendant, la constitution de gouvernement provisoires représentant « tous les éléments démocratiques des populations ».

Staline ne respectera pas cette clause. Dans les zones « libérées » par l’armée Rouge, les communistes vont réussir en trois ans, par l’intimidation, la constitution de « fronts patriotiques », la tricherie électorale et les assassinats ciblés, à prendre partout le pouvoir, pour le confisquer ensuite. Dès mars 1946, Churchill, qui n’est plus au pouvoir, dénonce, dans un discours aux Etats-Unis, le « rideau de fer qui, de Stettin dans la Baltique, jusqu’à Trieste dans l’Adriatique, s’est abattu sur l’Europe de l’Est ». Partout, les communistes y installent des dictatures, qui prennent le nom de « démocraties populaires », et qui obéissent aux instructions du Kominform (cette organisation centrale des partis communistes vient, en 1947, ressusciter le Komintern d’avant-guerre). Plus de cent millions d’Européens se retrouvent sous le joug communiste. Les Occidentaux laissent faire.

 

Conclusion 

Pour toutes les raisons que nous avons évoquées, la Conférence de Yalta n’a pas laissé de bons souvenirs à la diplomatie française. Celle-ci ne reconnaîtra jamais la validité du partage territorial de l’Europe qui fut entériné au palais Livadia. Par exemple, les diplomates français en poste à Moscou auront, après la guerre, interdiction de se rendre dans les pays Baltes, annexés par Staline.

Mais de Gaulle essaiera de prendre sa revanche sur l’Histoire, en organisant lui-même sa petite conférence de Yalta. Cette Conférence, prévue à Paris pour le mois de mai 1960, devait, notamment, préparer un traité de limitation des essais nucléaires. Elle devait réunir Eisenhower, MacMillan, Krouchtchev et de Gaulle. Ce devait être l’apogée de ce qu’on a appelé la « Première Détente » (1956-1960). L’incident de l’avion-espion américain U-2 abattu le 1er mai 1960 au-dessus du territoire soviétique rendra furieux les Soviétiques, qui firent annuler la conférence voulue par de Gaulle. Dès son retour aux affaires en 1958, le Général avait promu, envers le bloc de l’Est, son fameux triptyque : « détente, entente, coopération ». Il n’arrivera pas à le mettre en application par la voie multilatérale d’un Sommet à 4 de type Yalta. Après l’ échec de la Conférence de Paris de mai 1960, de Gaulle choisira la voie bilatérale, qui culminera avec sa grande visite en URSS de juin-juillet 1966…

 

 

 

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