
Port d’exportation des zébus sur pieds du temps des Français, la jolie ville côtière de Tuléar, au sud-ouest de la Grande Ile, accueillait dimanche le dernier grand meeting d’Andry Rajoelina, le candidat qui semble le favori du scrutin présidentiel du 7 novembre 2018. Le cortège amenant de l’aéroport au stade du centre-ville l’ancien président de transition (2010-2014) avançait à une allure d’escargot, tant étaient nombreux les jeunes venus l’accompagner, qui en vélo, qui en pousse-pousse, qui en moto, tous vêtus d’orange, la couleur fétiche du candidat n°13 (sur 35). A mi-chemin, il passa devant un immeuble recouvert de banderoles bleues, le QG régional de campagne de Hery Rajaonarimampianina, le président sortant de la République malgache, candidat n°12. Dans une ambiance bon enfant, les marcheurs du cortège continuaient à se dandiner sur un air de musique locale, mélange coloré d’AfroBeat et d’AfroTrap. De part et d’autre, des sourires furent échangés, mais aucune insulte, aucun geste désobligeant. Pour la première fois de son histoire, Madagascar montre de la maturité démocratique.
Les Malgaches se passionnent pour ce scrutin, comme s’ils espéraient profondément qu’il marque un nouveau départ pour cette île de 25 millions d’habitants, grande comme la France, dotée d’une nature de rêve, porteuse d’une très ancienne civilisation (qui fascinait Jean Paulhan), mais qui n’a jamais réussi à prendre le train du développement économique et social. Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) classe Madagascar 158ème sur 188 pays en termes de développement humain. Ce critère prend en compte le PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat, le niveau d’éducation et l’espérance de vie à la naissance.
Ni le marxisme assumé de Didier Ratsiraka (ancien élève de l’Ecole navale, au pouvoir de 1975 à 1993, puis de 1997 à 2002 et demain candidat n°21), ni le libéralisme proclamé de Marc Ravalomanana (industriel de l’agro-alimentaire, au pouvoir de 2002 à 2009) n’ont réussi un tant soit peu à alphabétiser, électrifier et équiper en infrastructures le territoire. Pourtant il pourrait, à l’image de l’île voisine de Maurice, devenir, grâce à son agriculture et son tourisme, un grand pays émergent de l’Océan indien. Le PIB de Madagascar ne dépasse guère 10 milliards d’euros, soit seulement deux fois le chiffre d’affaires d’une entreprise comme Hermès. 50% des enfants de moins de cinq ans sont malnutris. 75% de la population vit avec moins de deux euros par jour. Seulement 15% des Malgaches ont accès à l’électricité.
Le passage d’une économie coloniale à une économie administrée puis à une économie libérale s’est révélé un calvaire pour la Grande Ile. L’explosion démographique (deux tiers des habitants ont moins de 25 ans) rend maintenant urgent le relèvement du pays. Mais par où commencer ?
Le rétablissement d’un Etat de droit est la priorité. A tous les sens du terme. L’insécurité est devenue un problème dans une société qui était plutôt connue pour son pacifisme et sa tolérance. Autrefois, il y avait certes les raids initiatiques de vol de zébus. Le jeune Bara (ethnie noire du sud du pays) devait voler ce bœuf à bosse, pour montrer qu’il était devenu un homme. Mais aujourd’hui ce vol est devenu systématique (pour exportation vers la Chine) et les gangsters portent des Kalachnikovs. En ville, presque plus personne ne sort la nuit. L’industrie du kidnapping de notable s’est généralisée depuis trois ans, à Tananarive comme en province. Les forces de police manquent de motivation, quand elles ne sont pas complices.
Après les crises politiques des années 2000, beaucoup d’investisseurs internationaux sont partis. Ils ne reviendront pas tant que l’Etat ne leur garantira pas la sécurité pour leurs personnes, leurs familles et leurs biens. La sécurité juridique est une nécessité. Il y a des codes hérités des Français, qui ont été modernisés ; il y a des tribunaux ; mais les juges sont corrompus et les lois bancales.
Les investisseurs chinois ne font hélas pas monter les exigences en termes d’Etat de droit. A la veille de sa démission de la présidence (en raison de sa candidature), Hery Rajaonarimampianina a fait signer par une agence gouvernementale une convention accordant des droits de pêche quasi illimités pour trois cents chalutiers chinois. Tout le monde s’est élevé contre cette catastrophe halieutique annoncée.
L’Etat de droit, c’est aussi la nécessité d’un cadastre pour sécuriser le foncier agricole. 80% des affaires judiciaires à Madagascar découlent de disputes de terrains. Une élection présidentielle sans fraude organisée serait déjà un beau début pour le retour de l’Etat de droit dans la Grande Ile.
Le gagnant du scrutin du 7 novembre sera-t-il à la hauteur des espoirs de ses compatriotes ? Ils attendent tous de lui qu’il donne un nouveau départ à Madagascar.