Spectateur de la conférence intermédiaire de l’Union africaine (UA), qui s’est tenue le 13 juillet 2025 à Malabo (Guinée équatoriale), je me suis fait deux réflexions, balançant entre pessimisme et optimisme.
La première était que ces grands-messes de l’Union africaine, malgré leur pompe, leurs slogans passéistes, leurs beaux discours jamais suivis d’effet, avaient quand même leur utilité. Elles nourrissent un respect mutuel entre les 55 États d’Afrique et font vivre la règle suprême du continent. Cette dernière, adoptée en 1964, à la conférence du Caire de l’Organisation de l’unité africaine, prévoit l’« intangibilité des frontières issues de la décolonisation ». Cruciale, cette règle d’or a épargné d’innombrables guerres au continent noir.
On a trop souvent tendance à se moquer des organisations internationales, qu’elles soient planétaires, comme l’ONU, ou régionales, comme l’UA. On leur reproche leurs coûts de fonctionnement et leur peu de résultats concrets sur le terrain. Bien sûr, que les organisations internationales ne peuvent pas tout faire dans le domaine des relations inter-étatiques, comme d’ailleurs dans les situations intra-étatiques. Elles n’ont pas les moyens d’imposer leur volonté aux États, surtout s’ils sont puissants. Elles forment des vœux, la plupart du temps pleins de bon sens ; elles édictent des règles de droit, souvent parfaitement rédigées ; mais elles ne disposent d’aucune police pour les faire respecter.
Cependant, elles conservent quelque chose d’extrêmement précieux : des forums où tous les États, petits comme grands, peuvent s’exprimer librement en public, et où deux États peuvent aussi se parler secrètement dans les coulisses, pour éviter d’entrer dans un conflit armé, ou pour en sortir, si les circonstances les ont déjà plongés dans la guerre et si une volonté de paix, de part et d’autre, existe. Pour ce qui concerne l’UA, après l’initiative de Niamey de 2019, elle est quand même parvenue à créer une zone de libre-échange entre tous les pays d’Afrique, qui est désormais en place. Ce n’est pas rien. Quand on voit actuellement le coût exorbitant de la guerre russo-ukrainienne, on se dit que les organisations internationales coûtent vraiment peu de chose en comparaison, qu’elles constituent un progrès dans l’histoire diplomatique mondiale, qu’elles doivent être préservées à tout prix. Quand on se parle longuement et souvent, on a moins tendance à se faire la guerre.
La deuxième réflexion que je me suis faite est que la France avait considérablement perdu en influence, depuis le premier voyage que j’avais fait en Afrique, il y a exactement quarante ans, comme jeune reporter du Figaro (Congo, Centrafrique, Tchad). À l’époque, la France jouissait encore du prestige que lui avait donné l’expédition réussie de Kolwezi (1978). Certes, la glissade française dans le tournant du siècle était sans doute fatale, notamment avec la montée en puissance de la Chine sur le continent. Mais je ne pense pas que tout soit perdu pour la France en Afrique, loin de là. Les raisons de mon optimisme ? Elles sont au nombre de trois. D’abord parce que, en général, les Français aiment les Africains et les Africains aiment les Français, au-delà des péripéties politiques provoquées par leurs gouvernements. Leurs relations vont au-delà du simple commerce. Il y a une fascination réciproque, un partage d’âme, une amitié qui court de Savorgnan de Brazza à Charles de Gaulle, de Pierre Messmer à Jacques Chirac.
Ensuite, Paris n’a nullement à rougir de l’immense œuvre française en Afrique, qui s’est traduite par la construction d’innombrables routes, écoles, dispensaires, barrages hydroélectriques, ports. Dans cette « œuvre civilisatrice de la colonisation » prônée par Jules Ferry, puis dans la coopération instituée après les indépendances, y a-t-il eu des erreurs, des ratés, des crimes ? Bien sûr, car aucune entreprise humaine d’envergure n’en est exempte. Mais ce qui compte, c’est le bilan très positif de cent vingt-cinq ans d’aventures communes, dans la paix comme dans les deux guerres mondiales.
Culturellement, les écrivains africains francophones parlent et écrivent une qualité de langue admirée dans tout l’Hexagone. Cultuellement, très nombreux sont les prêtres africains à réévangéliser la fille aînée de l’Église. Tout au long de l’histoire, l’œuvre civilisatrice se fait évidemment dans les deux sens. Aujourd’hui, c’est l’Afrique qui parfois nous civilise, elle qui garde ses vieillards à la maison, nous qui les jetons dans des Ehpad. L’Occident révère l’individu, même lorsqu’il se vautre dans le consumérisme et l’hédonisme. L’Afrique célèbre les solidarités familiales et intergénérationnelles, et c’est évidemment elle qui a raison.
Enfin, je suis optimiste car je juge la France capable de tirer les leçons des quatre erreurs que je l’ai vue commettre. Notre première erreur fut de nous mêler militairement, à partir de 1990, des affaires du Rwanda, une ancienne colonie belge, située très loin de notre ancien pré carré africain. Nous connaissions mal ce terrain, miné par des rivalités ethniques anciennes, et nous y sommes fait piéger. Notre seconde erreur fut notre intervention militaire de 2011 en Libye pour y déloger le dictateur Kadhafi, décidée alors qu’il y avait une médiation en cours de l’UA entre les rebelles de Benghazi et le régime de Tripoli. Non seulement nous n’avons pas établi en Libye la paix, la démocratie et la prospérité promises, mais nous avons déstabilisé toute la bande sahélienne. En 2013, l’opération Serval, très populaire localement, avait sauvé Bamako d’un raid djihadiste. Notre erreur fut de laisser ensuite notre armée au Mali, comme si la France avait vocation à redevenir le gendarme de ce pays.
Lors du coup d’État militaire à Niamey, en 2023, nous avons publiquement surréagi, au lieu d’observer la situation en silence et d’agir en coulisses. Notre ministre des Affaires étrangères a proféré, sur RFI, des menaces d’intervention militaire et notre ambassadeur a accusé, sans la moindre preuve, un ancien président d’avoir ourdi le coup. Ce dernier s’était pourtant retiré du pouvoir après ses deux mandats, réalisant la première alternance démocratique depuis l’indépendance, et avait consenti à la demande du président Macron de faire une médiation inter-nigérienne. Il faut comprendre qu’au départ le général putschiste Tiani n’avait strictement rien contre les Français. Il est erroné de vouloir imposer la démocratie par la force en Afrique. Ce n’est pas à Paris de décider qui doit gouverner en Libye ou au Niger, comme ce n’est pas à Washington de décider qui doit commander à Bagdad ou à Kaboul. Le néoconservatisme est le retour de la pulsion coloniale par la fenêtre.
Avec davantage d’écoute, de respect, de pragmatisme, la France peut très bien rétablir son influence, non seulement auprès de ses partenaires africains traditionnels mais aussi auprès de tous les acteurs de ce continent à la démographie galopante.
