Aussi curieux que cela puisse paraître, le président russe a, le 10 juillet 2025, encore refusé d’accéder à la demande de son homologue américain d’un cessez-le-feu de trente jours en Ukraine. C’est un signe inquiétant de la part de la Russie, à laquelle les États-Unis faisaient une offre très intéressante – pas de culpabilisation du Kremlin, normalisation complète des relations russo-américaines, levée des sanctions -, qui permettait à Vladimir Poutine de se tirer la chemise à peu près sèche de sa désastreuse aventure militaire de février 2022.

Le président de la Fédération de Russie accepte de faire de la diplomatie sur le dossier iranien et de conserver les règles salutaires de non-prolifération incarnées par le TNP de 1968, mais il ne veut rien entendre sur l’Ukraine, dont il soumet les villes à des bombardements nocturnes de plus en plus intensifs. Tout se passe comme si une victoire militaire contre Kiev et la soumission de l’Ukraine étaient devenues vitales pour le régime poutinien, même à un prix diplomatique, économique et humain exorbitant pour la nation russe.

L’Europe a mis plus d’un siècle pour se débarrasser du militarisme prussien. Combien de temps lui faudra-t-il pour voir s’éteindre le militarisme grand-russe que Poutine a réveillé au détriment du progrès économique et de l’aménagement de son territoire sibérien (vingt fois la superficie de la France) ?

Nous, Français, nous sommes les amis naturels des Russes, dont nous admirons le théâtre, la musique et la littérature, qui ont sauvé Paris en septembre 1914, qui ont accueilli les pilotes de la France libre en 1942 au sein du régiment Normandie-Niémen, qui ont détruit plus des trois quarts des divisions hitlériennes entre 1941 et 1945. Nous ne voulons certainement pas leur faire la guerre.

Mais nous sommes directement concernés par l’expansionnisme russe actuel car nous avons librement consenti des traités de défense mutuelle avec trois petits pays européens directement menacés par le rêve poutinien de reconstituer l’Empire russe de jadis en Europe orientale. S’ils étaient attaqués, nous devrions assistance militaire immédiate aux pays Baltes, au titre de l’article 5 de la charte de l’Otan comme au titre de l’article 42-7 du traité de l’Union européenne.

Je ne dis pas que l’armée russe, qui piétine depuis un an devant la bourgade ukrainienne de Prokovsk, va s’attaquer demain à Narva (Estonie), mais c’est une hypothèse que nous ne pouvons hélas pas écarter à court ou moyen terme. Cela nous oblige à créer une dissuasion conventionnelle qui fasse réfléchir la Russie, qui l’oblige à prendre au sérieux l’Alliance atlantique. Le mieux est de consolider l’effort actuel de prépositionnement de troupes européennes dans les pays Baltes pour faire comprendre à la Russie qu’empiéter sur leurs territoires la forcerait à tuer des soldats occidentaux, et pas seulement des « frères » de l’ancienne URSS.

Dans cette logique de « containment » de l’expansionnisme russe, et au moment où l’Indo-Pacifique a remplacé la zone euro-altantique comme priorité stratégique des Américains, et où ces derniers peuvent abandonner abruptement leurs alliés européens sous le moindre prétexte, nous voyons renaître la grande triade européenne, France, Allemagne, Grande-Bretagne. Elle sera au cœur des conversations politiques que le président français aura avec le premier ministre britannique, à l’occasion d’une visite d’État à Londres, du 8 au 10 juillet 2025.

Cette triade fonctionnait déjà fort bien dans les dernières années de la guerre froide. On se souvient de l’alignement parfait entre François Mitterrand, Helmut Kohl et Margaret Thatcher, lors de la crise des euromissiles de 1983. On se souvient de la création, en 2001, du groupe missilier MBDA entre les Français, les Anglais et les Italiens, auxquels se sont joints, cinq ans plus tard, les Allemands. Aujourd’hui, MBDA est le deuxième missilier du monde.

La décision absurde des Britanniques, en 2016, de quitter l’Union européenne avait sérieusement mis à mal la triade des trois plus grandes puissances européennes. La menace russe, combinée avec le risque d’un abandon américain, lui a redonné vie. En outre se sont ajoutées les arrivées au pouvoir, en Grande-Bretagne d’un Parti travailliste ouvertement proeuropéen en 2024, et en Allemagne, en 2025, d’un chancelier Merz qui avait, dans sa campagne électorale, préconisé le rapprochement avec la France.

Maintenant que l’alliance américaine a montré clairement ses limites, la triade européenne pourrait allègrement brandir l’étendard de l’autonomie stratégique européenne, une idée qu’Emmanuel Macron défend depuis sept ans avec toutes les peines du monde. Un champ immense de nouveaux programmes communs s’étend pour l’industrie militaire européenne. Il y a évidemment les drones d’attaque, d’observation et de défense. Mais il y a aussi la défense antiaérienne par laser, où l’Europe est en retard par rapport aux États-Unis, à la Chine, à la Russie et à Israël. En lisant le passionnant livre L’Occident sur le qui-vive ! (L’Harmattan, 2025), écrit par Bernard Lavarini, le père du laser militaire français, on comprend à quel point le président Mitterrand eut tort d’abandonner les recherches sur le laser à haute énergie pour les applications stratégiques.

Avec un gros bon sens, la nouvelle Administration américaine ne voit pas pourquoi 340 millions d’Américains devraient protéger 510 millions d’Européens (UE plus Grande-Bretagne) contre 140 millions de Russes. Après huit décennies de protection américaine, il appartient désormais aux Européens de prendre en charge leur défense. Avec la triade comme moteur politico-industriel.

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