Dans la politique étrangère du début de son second mandat, le président américain a placé la paix en Ukraine comme dossier prioritaire. Donald Trump s’est en effet vanté, dans sa campagne électorale, de pouvoir faire très rapidement la paix entre Russes et Ukrainiens. Dans son discours inaugural du 20 janvier 2025, le 47e président des États-Unis s’était engagé à ne commencer aucune guerre et à terminer de nombreux conflits sur la planète. Par ailleurs, Trump ne cache pas qu’il aimerait beaucoup avoir le prix Nobel de la paix, celui-là même qui avait été donné au président Obama, alors que ce dernier n’avait pas, aux yeux des Républicains américains, réellement fait progresser la paix dans le monde.

Vendredi 16 mai 2025, des pourparlers directs, sous médiation turque, ont repris à Istanbul entre Russes et Ukrainiens, après une interruption de plus de trois ans. Ils n’ont pour le moment donné comme résultat que l’échange de prisonniers. Un millier de jeunes Ukrainiens vont ainsi pouvoir retrouver leurs foyers. Cette discussion directe entre belligérants – proposée par le président russe le lendemain de son défilé militaire sur la place Rouge, dont le président chinois avait été l’invité d’honneur – aurait-elle donné davantage de fruits si Poutine avait accepté l’invitation du président ukrainien Zelensky de s’y rendre en personne ? C’est possible, mais ce n’est pas sûr, tant sont divergentes les positions actuelles des deux chefs d’État, et tant est grande la haine qui les anime l’un pour l’autre.

Constatant le refus de Poutine de s’impliquer directement dans la négociation, Donald Trump a déclaré que seule une conversation entre lui et le président russe avait des chances de faire bouger les lignes. Le président américain avait déjà proposé à chacune des parties d’accepter un cessez-le-feu de trente jours, durant lequel commencerait le dialogue. Ce cessez-le-feu avait été accepté par les Ukrainiens mais pas par les Russes, lesquels avaient continué à faire pleuvoir leurs drones d’attaque sur les villes ukrainiennes. La seule avancée du côté russe avait été la proposition de Poutine d’ouvrir un dialogue direct et sans condition préalable entre délégations russe et ukrainienne.

Pourquoi la paix est-elle si compliquée en Ukraine aujourd’hui ? Le 16 mai à Istanbul, la délégation russe a posé comme condition d’un cessez-le-feu que l’armée ukrainienne se retire entièrement des quatre oblasts (départements) ukrainiens que l’armée russe a en partie conquis. Ces quatre oblasts ont été en effet annexés officiellement à la Russie, alors que les Russes ne les contrôlaient pas entièrement, et après des référendums pour le moins douteux (proposés, en pleine guerre, à une population vivant sous occupation). Il est irréaliste d’attendre des Ukrainiens qu’ils abandonnent de leur propre volonté des territoires qui leur appartiennent selon le droit international et qu’ils contrôlent militairement.

Le président Poutine a rappelé, lors d’une interview donnée le 17 mai 2025 à un journaliste russe, que la Russie avait l’intention d’achever les objectifs qu’elle s’était donnés en envahissant son voisin en février 2022 (agression patente renommée « opération militaire spéciale » dans une de ces litotes dont le Kremlin a le secret). Passons en revue ces objectifs. Le premier est que l’Ukraine ne rejoigne jamais l’Otan. Depuis le début des années 2000, Vladimir Poutine n’a cessé de demander aux Occidentaux d’arrêter l’extension de l’Otan vers l’est. C’est un objectif réalisable. Les États-Unis de Donald Trump – comme de Joe Biden – sont en effet hostiles à l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan. Lors des discussions russo-ukrainiennes de mars-avril 2022, c’est un principe sur lequel les deux délégations ennemies s’étaient mises d’accord.

Le deuxième objectif proclamé par Vladimir Poutine en février 2022 était un changement de régime à Kiev. Poutine avait en effet qualifié de « nazi » le gouvernement ukrainien – issu d’élections démocratiques. C’est un objectif totalement irréalisable. L’agression de la Russie a rendu la très grande majorité des Ukrainiens farouchement indépendants à l’égard de Moscou, y compris les russophones d’Odessa ou de Kharkov. Poutine n’a pas l’air de comprendre que la Russie détenait encore un immense soft power sur la société ukrainienne jusqu’à ce qu’il se mêle de politique intérieure ukrainienne, et qu’il l’a complètement perdu, et pour très longtemps, en usant de violence contre elle. En agressant l’Ukraine, les Russes n’ont pas seulement échoué à la soumettre, ils ont perdu son amitié pour une génération, sinon deux.

Le troisième objectif de Vladimir Poutine était un désarmement de l’Ukraine. C’est également un objectif irréaliste. Les Ukrainiens pensent, avec quelque bon sens, que s’ils désarment, Poutine ne résistera pas longtemps à la tentation d’avaler entièrement leur territoire. Ils ont donc l’intention de rester sur le pied de guerre, même s’il y a un cessez-le-feu.

Quant aux Européens, ils considèrent qu’une soumission de l’Ukraine à la Russie constituerait un encouragement donné au Kremlin de poursuivre ses visées expansionnistes vers l’ouest, notamment vers des pays (la Pologne, les Baltes, la Roumanie) à l’égard desquels ils ont des engagements de sécurité. Les Européens ont donc l’intention de continuer à armer l’Ukraine même s’il y avait un armistice, dans un but de dissuader les Russes de l’attaquer à nouveau.

Du côté ukrainien, Zelensky accepte volontiers le cessez-le-feu, car il sait que son armée n’a pas les moyens de reconquérir par la force les territoires perdus depuis 2014 (qui représentent 20 % du territoire internationalement reconnu de l’Ukraine). Mais lui et son peuple n’ont aucunement l’intention d’accepter la paix des armes en échange de leur servitude. La souveraineté pleine et entière de leur pays n’est pas un élément négociable pour les Ukrainiens.

Sur le plan militaire, les troupes russes continuent à grignoter du terrain, sans pour autant obtenir d’avantage stratégique. En matière navale, la flotte russe a perdu le contrôle de tout l’ouest de la mer Noire. Le port d’Odessa fonctionne à pleine vapeur.

En continuant à atermoyer, à tirer sur l’élastique américain, Poutine risque de commettre une erreur cardinale. Car Trump lui a proposé une normalisation complète des relations américano-russes en échange d’un armistice en Ukraine. Une occasion en or. Qu’il risque de gâcher en abusant de la patience du président américain.

En l’appelant téléphoniquement le 19 mai 2025, Trump a redonné une chance à Poutine de se tirer la chemise sèche de sa calamiteuse expédition militaire chez son voisin. Espérons, pour la Russie, qu’il aura le bon sens de la saisir. Car cela sera peut-être la dernière.

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