Avec le deuxième mandat, soigneusement préparé, du président Donald Trump, nous assistons au retour d’un impérialisme américain décomplexé dans les relations internationales. À l’égard de l’Europe, dont le nom n’a pas été cité lors du discours inaugural du 47e président des États-Unis, Washington abandonne l’hypocrite posture du grand frère bienveillant pour celle, plus sincère, du maître désinhibé. En réclamant publiquement un territoire appartenant depuis des lustres à un pays otanien, membre de l’Union européenne (le Groenland, possession du Danemark), Donald Trump dit quelque chose que même Poutine n’a pas dit. Quant au milliardaire de la tech Elon Musk, que l’on peut qualifier de ministre numéro un de Trump, il n’a aucun complexe à s’ingérer directement dans l’actuelle campagne électorale allemande.

Face à ce phénomène, les Européens ne réagissent pratiquement pas. Comme s’ils étaient sonnés. Comme si devoir affronter un troisième empire, après celui des Chinois et celui des Russes, était trop pour eux. Dans un monde où les rapports de force font leur grand retour, l’Europe apparaît comme un continent de Bisounours incapables de s’adapter. Ouverte à tous vents, l’Europe institutionnelle n’a pas compris qu’elle avait des frontières et qu’elle devait les protéger, militairement, commercialement, financièrement, politiquement.

Militairement, au tournant du XXIe siècle, elle n’a pas accru ses armées à la mesure des nouveaux dangers qui apparaissaient dans le monde. On l’a vue prise de panique quand la Russie, au mépris des engagements juridiques pris par Moscou depuis 1991, s’est mise à agresser l’Ukraine, pays voisin du territoire de l’Union européenne. Au lieu de réfléchir calmement à comment édifier sa propre industrie de défense, l’Europe s’est précipitée aux pieds des Américains, pour leur acheter non seulement leur matériel militaire, mais aussi leur gaz de schiste, à trois fois le prix du gaz russe.

Commercialement, l’Europe a ouvert ses frontières aux produits chinois, sans obtenir de réciprocité, notamment dans le domaine des services (banques, assurances, etc.). Les Européens ont ainsi gravement affaibli leurs industries de biens de consommation. Dans le secteur des biens d’équipement, les Bisounours européens ont accepté de faire assembler en Chine leurs trains et leurs avions. Le résultat est que les Chinois ont pu en toute tranquillité voler la technologie européenne et produire ensuite à moindre coût, pour enfin conquérir les marchés mondiaux au détriment des Européens.

Au sommet de Lisbonne de 2000, les Européens annoncent leur entrée dans l’économie de la connaissance. Ils promettent de créer, dans l’industrie du numérique, une immense Californie. Comme ces vœux pieux n’étaient assortis d’aucune contrainte, comme personne de compétent et de charismatique n’a été nommé pour piloter cette grande aventure numérique, rien n’a été fait concrètement ; et l’Europe a pris, dans le numérique, un retard phénoménal par rapport à l’Amérique et à la Chine.

Financièrement, les Européens avaient, dès le début du siècle, réussi la prouesse de réaliser une monnaie commune, respectée à travers le monde. Mais ils se sont arrêtés en chemin, négligeant d’instituer les indispensables harmonies budgétaire et fiscale sur le territoire de l’UE. Bien que disposant d’une Banque centrale européenne forte, les Européens n’ont pas réussi à utiliser cet instrument pour créer un marché financier aussi profond et unifié que celui des Américains. Un tel marché aurait naturellement financé l’essor numérique de l’Europe, proclamé mais non réalisé.

Pire, lorsque est survenue en Amérique la crise financière des subprimes, issue d’une gestion folle des prêts hypothécaires américains, les Européens n’ont pas su s’en protéger. Les produits pourris de Wall Street n’avaient eu aucun mal à franchir les frontières de l’Europe, et les banques européennes en étaient gorgées. Cette crise, dans laquelle les Bisounours européens n’avaient pas la moindre responsabilité, a en définitive beaucoup plus affecté à moyen terme l’économie européenne que l’économie américaine.

Politiquement, les Bisounours européens n’ont pas réussi à protéger leurs frontières des trafics d’êtres humains. Au lieu d’une immigration choisie, légale, les nations européennes ont subi une immigration chaotique, inadaptée à leurs valeurs et à leur culture judéo-chrétienne. Il est vrai que ce sont deux pays européens (la France et l’Angleterre) qui ont pris la folle initiative de renverser par les armes le régime de Kadhafi, qui avait le mérite de coopérer avec Bruxelles dans la lutte contre les trafiquants d’êtres humains.

Face à la Russie, les Européens ne doivent pas céder, afin de rappeler que piétiner le droit sur leur continent peut avoir un coût prohibitif. La tentation impériale du Kremlin n’aura sur le long terme rien apporté de bon à la Russie. Cette dernière s’est brouillée avec tous ses voisins et elle a subi une fuite des cerveaux extrêmement dommageable. Le devoir de l’Europe est de montrer le maximum d’hospitalité et d’amitié aux Russes en tant que personnes culturellement proches d’elle, mais aussi la plus grande rigueur envers les rêves territoriaux impériaux du Kremlin, inacceptables dans une société internationale qui se respecte.

Face à la Chine, l’Europe doit rééquilibrer ses échanges. Les Européens peuvent considérer la Chine comme un grand atelier de qualité, ce qu’elle est devenue. Mais ils doivent, y compris par des barrières douanières, protéger leurs propres ateliers. L’Europe a inventé l’industrie ; elle ne saurait l’abandonner à d’autres. Face à l’empire américain, les Européens doivent perdre leur mentalité de petits protégés. Les Européens doivent aimer les Américains, dont ils admirent l’énergie et dont ils partagent les valeurs démocratiques. Mais cet amour doit être un amour entre partenaires égaux. Et cette égalité n’existera jamais tant que les Européens n’auront pas entrepris de défendre leurs frontières, et de se défendre eux-mêmes.

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