Nombreux furent les citoyens américains et les observateurs européens à critiquer les messages provocateurs de Noël de Donald Trump, où le futur 47e président des États-Unis semblait faire peu de cas de la souveraineté de trois pays historiquement proches d’eux : le Canada, Panama, le Groenland (territoire autonome relevant de la couronne danoise).
Au-delà du goût avéré du président élu pour les boutades – dont raffole son électorat –, nous assistons là à un retour de la politique impériale américaine classique. En ce qui concerne le Panama, on revient à la doctrine Monroe du XIXe siècle, qui disait que les puissances étrangères au continent américain – jadis européennes, aujourd’hui la Chine – n’ont rien à y faire.
En souhaitant dans son tweet un joyeux Noël aux « soldats chinois » installés « illégalement » à Panama, Donald Trump ne rapporte pas une situation avec exactitude, mais il exprime une réelle inquiétude stratégique des États-Unis. Il n’y a pas de base militaire chinoise à Panama, mais il y a de très importants investissements chinois de modernisation du canal. Le Pentagone redoute que cela ne donne un jour la possibilité à la Chine de fermer le canal de Panama, en cas de tension autour de l’île de Taïwan.
Une telle fermeture retarderait considérablement l’éventuel déplacement dans le détroit de Formose de la deuxième flotte américaine (celle de l’Atlantique, basée en Virginie), qui viendrait en renforcement de la septième (celle du Pacifique, basée au Japon), afin de sauvegarder la liberté des Taïwanais face à une imminente entreprise d’invasion de leur île par l’Armée populaire de libération de la Chine communiste.
En vertu d’un traité de 1903, les États-Unis bénéficiaient d’une souveraineté perpétuelle sur la zone du canal de Panama, ainsi que d’un droit de regard sur les affaires intérieures de la République hispanophone de Panama. Le président Carter avait renoncé à ce privilège en septembre 1977. « L’équité et non la force doit être au cœur de nos relations avec les nations du monde », avait-il expliqué.
Décédé à l’âge de 100 ans le 29 décembre 2024, Jimmy Carter était, politiquement et psychologiquement, l’exact opposé de Donald Trump. Humble, il voulait appliquer à la société internationale les valeurs de charité chrétienne qu’il pratiquait dans sa vie personnelle. Il croyait en une force autonome du droit et adhérait pleinement aux principes de la diplomatie multilatérale, tels qu’ils avaient été ébauchés par les démocrates américains après la Seconde Guerre mondiale. Durant son mandat (1977-1980), cette noblesse d’âme diplomatique se fracassa hélas sur les ayatollahs islamistes iraniens (qui prirent en otages les diplomates de l’ambassade américaine à Téhéran en novembre 1979), ainsi que sur les communistes soviétiques brejnéviens (qui envahirent l’Afghanistan à la Noël 1979).
En revanche, Trump est de l’école qui pense que « might is right », que c’est ma force qui me donne des droits. Il juge Carter irresponsable d’avoir rendu la zone du canal aux Panaméens, lesquels surtaxent à ses yeux le passage des navires de commerce américains. Le président élu constate que les Chinois ne s’embarrassent pas du droit international lorsqu’ils s’emparent de récifs inhabités en mer de Chine méridionale pour y construire des aérodromes militaires, et pour s’arroger une zone économique exclusive sur l’ensemble de cette mer (suivant une ligne dite « des neuf traits »), laquelle baigne pourtant des rivages étrangers (du Vietnam, de la Malaisie, de Brunei, des Philippines).
Trump estime que les Chinois communistes, comme les Russes poutiniens, comme les pasdarans iraniens, ne comprennent que les rapports de force et que c’est donc ce langage qu’il faut leur tenir. Pour rappeler aux Chinois le principe de liberté de navigation en haute mer, y compris dans le détroit de Formose en mer de Chine méridionale, les Américains ne se contentent pas de discourir à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies à New York ; ils envoient régulièrement les bâtiments de guerre de l’US Navy patrouiller sur ces eaux.
La grande innovation de Trump, c’est qu’il n’impose pas un rapport de force qu’à ses adversaires ; il n’hésite pas à tordre le bras de ses alliés. Ainsi pour le Canada, à qui il reproche une balance commerciale déséquilibrée au détriment des États-Unis, ainsi qu’un laxisme envers les immigrants illégaux pénétrant sur le territoire américain depuis la frontière canadienne. Il menace Ottawa de droits de douane prohibitifs et dit, en plaisantant à moitié, qu’il y a toujours l’option pour les Canadiens de devenir le 51e État des États-Unis…
Ce rudoiement des alliés se retrouve dans la menace trumpiste de ne pas les défendre face à la Russie au titre de l’article 5 de la charte de l’Otan au cas où ils persisteraient à ne pas augmenter leurs dépenses militaires – ce à quoi ils sont d’ailleurs tenus en vertu de l’article 3 de la même charte.
Pour ce qui concerne le Groenland, Trump rêve d’acheter cette immense île quasi déserte au Danemark, comme l’Amérique avait jadis acheté l’Alaska à la Russie d’Alexandre II. Le fait qu’il ne soit pas à vendre lui importe peu. L’important est de faire passer un message : l’Amérique ne laissera jamais la Russie (dont les bases situées au-delà du cercle polaire arctique sont proches du Groenland) lorgner sur ce territoire stratégique. Car le Groenland l’est, autant par sa situation que par les métaux rares qu’il contient. Durant la Seconde Guerre mondiale, l’Amérique ne demanda à personne l’autorisation d’installer des bases militaires au Groenland.
Pour la défense de Trump, ce n’est pas lui qui a endommagé le droit international pour le remplacer par une diplomatie du rapport de force. Au XXIe siècle, avant son arrivée aux affaires, le multilatéralisme avait déjà été détruit par les coups de boutoir que lui avaient donné successivement les néoconservateurs américains (détestés par Trump), l’Iran des ayatollahs, la Chine de Xi Jinping, la Russie de Vladimir Poutine.
Ceci dit, en raison de son caractère, Trump s’est particulièrement bien accommodé de cette nouvelle manière de gérer les relations internationales. Il est ainsi très peu probable qu’il fasse pression sur son ami Netanyahou afin qu’Israël prépare la création d’un État palestinien, dont le Likoud ne veut pas entendre parler, car ressenti comme une menace future possible contre l’État hébreu.
Face à ce grand retour des rapports de force dans les relations internationales – qui affecte au premier chef les matières premières, l’énergie, le commerce et la technologie –, l’Union européenne, premier marché solvable de la planète, apparaît particulièrement absente et vulnérable. Il ne saurait hélas en être autrement tant que ses deux piliers historiques, la France et l’Allemagne, resteront paralysés par leurs crises politiques respectives.
