Sur la guerre en Ukraine, Donald Trump a dit, pendant et après sa campagne électorale, qu’il fallait l’arrêter au plus vite et qu’il se faisait fort de le faire. Celui qui deviendra le 47e président des États-Unis le 20 janvier 2025 pense qu’il parviendra à imposer un accord de cessez-le-feu aux présidents russe et ukrainien, avec qui il entretient des relations cordiales. Le fait que Donald Trump pense et dise qu’il parviendra très rapidement à conclure un « deal » avec Vladimir Poutine ne constitue pas une garantie absolue de succès. En juin 2019, malgré deux rencontres avec le dictateur communiste nord-coréen, l’une à Singapour, l’autre dans la zone démilitarisée de la péninsule coréenne, le président américain n’était pas parvenu à obtenir de son interlocuteur la moindre concession de moyen ou long terme.

Il n’en demeure pas moins que les chances de succès d’un deal Trump-Poutine en 2025 sont relativement élevées. Car il faut prendre en compte trois facteurs majeurs : la fatigue de la guerre de part et d’autre ; la constatation générale d’une impasse stratégique ; les intérêts à long terme de tous les protagonistes.

Premièrement, la lassitude a gagné les rangs des deux belligérants. Dans la jeunesse russe, on ne constate aucun enthousiasme à poursuivre la guerre d’agression commencée en février 2022 par le Kremlin contre l’Ukraine, pays qu’elle a toujours considéré comme frère. On ne se précipite pas aux centres de recrutement. On doit recourir à l’aide de soldats nord-coréens. Les Russes au combat sont ceux qui n’ont pas d’autre choix, professionnellement ou économiquement. Rares sont les jeunes Russes qui s’engagent volontairement, par choix idéologique. Rares sont ceux qui croient en leur for intérieur qu’une Ukraine libre et indépendante menaçait réellement la sécurité de leur mère patrie.

Du côté ukrainien, l’excitation de la résistance héroïque des premiers mois de 2022 face à un ennemi très supérieur en nombre et en puissance de feu, n’est plus là. Ce sont des pères de famille qui tiennent le front. Ils sont patriotes et courageux, mais ils rêvent de quitter les tranchées pour voir enfin grandir leurs enfants. La jeune génération ukrainienne boude les centres de recrutement alors qu’elle est censée incarner la relève. Les jeunes volontaires ukrainiens qui étaient le plus motivés à se battre sont, pour beaucoup, morts ou blessés. Il y a plus d’un million de jeunes hommes ukrainiens vivant dans les pays européens limitrophes et amis de l’Ukraine. Ils ne se bousculent pas pour retourner dans leur pays natal et prendre part au combat.

À la lassitude, s’ajoute la constatation universelle d’une impasse stratégique. En août 1918, Clemenceau et Foch ont accru la puissance de l’offensive alliée de libération du sol français, car ils ont senti qu’elle pouvait déboucher sur un effondrement militaire allemand, puis sur une victoire. Dans le cas présent, aucun des deux camps n’a les moyens de remporter une victoire flagrante, comme celle des Français, des Anglais et des Américains en novembre 1918. Malgré leur grignotage actuel dans le Donbass, les Russes ne parviendront pas à conquérir Kiev, Kharkov et Odessa, ni à imposer à l’Ukraine – que l’Occident ne lâchera pas – un régime à leur botte. Inversement, les Ukrainiens, en infériorité numérique, ne parviendront pas à forcer l’armée russe à battre en retraite ; ils ne récupéreront pas par la force le Donbass et la Crimée. Quand il y a impasse, quand personne ne peut gagner, le cessez-le-feu s’impose.

Enfin, les protagonistes ont un intérêt à long terme à ce que la guerre s’arrête. L’Ukraine doit saisir la chance que l’Union européenne lui a donnée de l’intégrer, une fois que le pays aura réalisé les nécessaires réformes institutionnelles et juridiques. Comme avenir, l’Ukraine a celui de devenir une nouvelle Pologne. La Russie, de son côté, a intérêt à ce que revienne sa jeunesse expatriée et qu’elle construise enfin une économie dépassant la simple rente pétrolière. À cause de la guerre, la Russie s’est coupée commercialement de l’Europe. Les Européens, obligés d’acheter du gaz de schiste américain à trois fois le prix du gaz russe, ont beaucoup perdu. Mais la Russie aussi a énormément perdu, car elle y a perdu ses meilleurs investisseurs.

Dans une telle situation, que faire des deux mois qui nous séparent de l’entrée en fonction de Donald Trump ? Il faut évidemment renforcer militairement l’Ukraine afin qu’elle arrive dans la meilleure position à la table de négociation. Les Européens ne sauraient laisser poindre la moindre ambiguïté, ni envoyer le moindre message de faiblesse au Kremlin. Il faut que la Russie sache qu’ils continueront à protéger l’indépendance de l’Ukraine quoi qu’il en coûte. Car c’est de leur défense et de leur cohésion qu’il s’agit en fin de compte. Les Européens ne peuvent tout simplement pas se permettre de laisser tomber l’Ukraine, dont l’indépendance fut acceptée par tous en 1991 – par la Russie au premier chef. Dans les relations internationales, la première règle est Pacta sunt servanda, les traités doivent être respectés. Fondée sur la primauté du droit, l’Union européenne ne saurait s’en éloigner. Dans un tel contexte, on peut se demander si le coup de téléphone passé au président russe par le chancelier allemand, le 16 novembre 2024, était vraiment utile.

J’ai toujours pensé qu’il était important de dialoguer avec la Russie. J’ai regretté que les Européens aient laissé tomber l’accord intra-ukrainien qu’ils avaient négocié eux-mêmes le 21 février 2014 à Kiev, entre le président prorusse Ianoukovitch et les trois leaders de l’opposition pro-occidentale – accord qui, s’il avait été respecté, aurait évité l’annexion de la Crimée puis la guerre au Donbass. J’ai condamné le projet de loi ukrainien abolissant le statut du russe comme deuxième langue officielle dans les oblasts russophones de l’est. J’ai donné la parole, dans ce journal, à Vladimir Poutine, dans une longue interview où il a pu librement défendre sa cause – après avoir fait de même avec le président ukrainien. J’ai approuvé l’ultime tentative de conciliation d’Emmanuel Macron du 7 février 2022. 

J’ai été consterné par l’aveu d’Angela Merkel et de François Hollande d’avoir négocié le traité de Minsk sans intention de le faire appliquer. Je suis favorable à ce que les Occidentaux prennent en considération les inquiétudes sécuritaires des Russes. Je pense qu’il n’était pas indispensable pour l’Amérique d’installer des missiles en Pologne dans les années 2010. La russophobie me fait horreur et je dénoncerai toujours les sanctions culturelles ou économiques affectant la société russe. Bref, je suis tout sauf antirusse. Mais, là, je ne comprends pas l’initiative d’Olaf Scholz. Je ne remets pas en cause son principe, mais son timing. Car le geste du chancelier peut être pris comme un signe de panique par le Kremlin, et donc affaiblir, sans le vouloir, la main de l’Occident dans la négociation Trump-Poutine qui s’annonce.

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