Lorsque nous, Européens, regardons l’Amérique, l’arbre ne doit pas nous cacher la forêt. L’arbre, c’est une vie politique caricaturale, qui nous fait sourire. La forêt, c’est l’état réel de ce pays de 333 millions d’habitants, qui devrait nous rendre jaloux.
Nous faisons des gorges chaudes de la campagne électorale présidentielle qui vient de commencer aux États-Unis, au niveau des élections primaires. Il est de plus en plus certain que le grand match, qui rythme la vie démocratique américaine tous les quatre ans, se fera entre deux quasi-octogénaires. Le système n’aurait-il pas pu sélectionner des hommes et des femmes un peu plus jeunes ?
Certes, sur notre continent, l’histoire a montré qu’il était préférable d’avoir beaucoup d’expérience pour diriger un pays. Lorsqu’ils revinrent aux affaires, ni Konrad Adenauer, ni Alcide De Gasperi, ni Charles de Gaulle, n’étaient des hommes jeunes. Mais, moralement et intellectuellement forgés dans les épreuves, ils surent à la fois prendre le temps de réfléchir, proposer à leur pays une vision claire, s’entourer de personnalités capables, et s’assurer de la bonne exécution de leurs décisions.
La multiplicité des procédures pénales visant Donald Trump – trop récentes et trop nombreuses pour être dénuées d’arrière-pensées politiques – signale une judiciarisation de la société américaine qui nous effraie. Mais rappelons-nous ce que Tocqueville nous avait déjà fait remarquer : les États-Unis sont, avant tout, une République de lawyers, d’hommes de droit.
Ils sont aussi profondément fédéralistes, ce qui fait qu’un président peut être élu avec moins de suffrages populaires que son concurrent (comme George W. Bush contre Al Gore en 2000, ou Donald Trump contre Hillary Clinton en 2016), ce qui nous semble totalement irrationnel.
Le quasi non-plafonnement des dépenses électorales des candidats américains nous apparaît également une bizarrerie. En 2020, Biden a dépensé un peu plus de 1 milliard de dollars pour son élection, contre 810 millions pour Trump. Mais l’argent n’est pas une chose sale pour les Américains. C’est, bénie par Dieu, une rétribution du travail, de l’intelligence, de l’audace.
La distance que nous prenons face à la gérontocratie, la judiciarisation et l’argent-roi dans la politique américaine, ne doit cependant pas nous cacher une réalité : depuis une génération, les Américains réussissent mieux que nous.
En 2008, la zone euro et les États-Unis avaient un PIB équivalent : 14.200 milliards de dollars pour celle-là, 14.800 milliards pour ceux-ci. Aujourd’hui le PIB européen dépasse à peine les 15.000 milliards alors que l’américain atteint pratiquement les 27.000 milliards.
La première raison est que l’Amérique demeure une terre d’innovation et d’entrepreneuriat, bien davantage que l’Europe. Faire faillite n’est pas déshonorant outre-Atlantique. On dépose son bilan et on repart dans un secteur plus porteur.
Le Vieux Continent a complètement raté la révolution numérique. À elles seules, les « 7 magnifiques » représentent une capitalisation boursière de 12 trillions de dollars. Ces sociétés (Microsoft, Apple, Google, Amazon, Tesla, Facebook, Nvidia) sont toutes récentes et spécialisées dans le numérique. Par comparaison, la capitalisation du CAC 40 n’atteint que 2700 milliards de dollars. En moyenne, les entreprises américaines dépensent, en pourcentage de leurs chiffres d’affaires, deux fois plus que les européennes, dans la recherche et le développement.
La seconde raison est que ni l’État fédéral, ni les États fédérés n’inhibent l’esprit d’entreprendre à force de réglementations.
Est-ce à dire que l’État n’aurait aucun rôle économique en Amérique ? Non, bien au contraire. Créée par le Pentagone en 1958 après l’humiliation du Spoutnik, la Darpa (Defense Advanced Research Projects Agency), a systématiquement financé les innovations technologiques qui pouvaient avoir un impact sur l’armement. Un financement intelligent, car toujours décidé par des professionnels du secteur considéré. Au départ, internet n’était qu’un moyen militaire d’échange d’informations.
Dans le combat contre le Covid, beaucoup de chercheurs étaient européens. Mais c’est en Amérique que la recherche appliquée et la production de vaccins a été la plus efficace. Le gouvernement fédéral n’a pas hésité à investir massivement dans la recherche. En mars 2022, le ministère de la Santé a créé l’Arpa-H, sur le modèle de la Darpa.
Depuis Roosevelt, les Américains n’hésitent pas à investir massivement pour faire repartir l’économie. L’IRA (Inflation Reduction Act de 2022, prévoyant 369 milliards de subventions à l’industrie verte) est une extraordinaire machine à attirer les investissements étrangers. Si les Européens ne sont pas capables de faire la même chose, qu’ils ne viennent pas ensuite gémir sur leur décrochage.
