Les images dominant aujourd’hui la scène médiatico-politique mondiale ne sont plus celles des suppliciés israéliens de l’attaque terroriste du Hamas du 7 octobre 2023. Ce sont celles de l’immense dévastation de Gaza après un mois de bombardements aériens israéliens, celles des familles palestiniennes décimées, celles de leurs hôpitaux qui manquent de tout, celles du million de déplacés sur les routes. Le nombre des victimes civiles à Gaza est désormais à cinq chiffres ; à elle seule l’UNRWA, l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, a perdu plus de cent agents dans les bombardements.

Face à ce spectacle, les pays du Sud global sont indignés et vent debout contre l’Amérique, accusée d’avoir livré des bombes à Israël et laissé son protégé donner libre cours à son désir de vengeance.

Dans le monde musulman, les sunnites et les chiites, qui étaient à couteaux tirés depuis une vingtaine d’années, se sont réconciliés pour prendre la défense des Palestiniens et accuser Israël d’« agression à Gaza », tout en passant sous silence le fait déclencheur des islamistes du Hamas. Le président de l’Iran, pays leader du monde chiite, était, le 11 novembre 2023, en Arabie saoudite, pays leader du monde sunnite, à l’occasion d’un sommet extraordinaire de l’OCI (Organisation de la Conférence islamique) consacré à Gaza.

En Asie, au matin du 13 novembre 2023, le drapeau bleu et blanc des Nations unies a été baissé dans les principales capitales (y compris dans des pays alliés de l’Amérique comme le Japon et la Thaïlande), au lendemain de l’annonce par l’ONU d’un nombre important de morts et de blessés dans le bombardement du siège du programme onusien pour le développement (PNUD) à Gaza.

Donner une mauvaise image de lui n’est pas de l’intérêt à long terme d’Israël, démocratie ouverte, attachée aux échanges commerciaux et culturels avec toutes les civilisations de la planète, à commencer par l’arabo-musulmane qui l’entoure. À la faveur des accords d’Abraham, l’État hébreu avait fait de considérables progrès, aujourd’hui suspendus.

Mais soigner l’image internationale d’Israël n’entre pas dans les priorités de son premier ministre actuel. Avant la guerre, le pouvoir de Netanyahou ne tenait qu’à un fil, en raison des soupçons de corruption le visant, et de ses atteintes à l’indépendance de la justice, lesquelles avaient soulevé contre lui une grande partie de la jeunesse israélienne. L’intérêt objectif du premier ministre, ayant fait alliance avec l’extrême droite nationaliste et les religieux orthodoxes, est que la guerre dure aussi longtemps que possible. Il laisse les colons extrémistes israéliens, en Cisjordanie occupée, humilier quotidiennement ses habitants arabes, car son objectif caché, en leur rendant la vie impossible, est de les pousser dehors vers la Jordanie.

Mais l’intérêt de Netanyahou, qui a trait à sa situation personnelle, n’est absolument pas celui de l’Amérique. Joe Biden ne semble pas l’avoir compris. Le président américain paraît ne pas avoir saisi que, dans les conflits contemporains, la guerre informationnelle compte autant, sinon plus, que les bombes. À court terme, Tsahal va gagner sa guerre asymétrique contre le Hamas. L’armée israélienne, par un mouvement d’enveloppement, bien pensé, sur la moitié nord de la bande de Gaza, va détruire les tunnels et les stocks d’armes de la résistance islamique et tuer une partie de ses combattants. Mais les États-Unis, eux, vont perdre la guerre planétaire de l’information.

Les images de Gaza, parce qu’elles ressemblent farouchement à celles de Marioupol, constituent autant de munitions pour les pays critiques de l’Occident, qui lui reprochent son hypocrisie et sa politique de deux poids, deux mesures, en matière de sanctions internationales.

Sans le vouloir, par pure maladresse, Joe Biden a fait un magnifique cadeau à Vladimir Poutine. Le président russe constatait le piétinement de son armée dans le Donbass et l’essoufflement de sa guerre hybride contre l’Occident. L’attaque terroriste du Hamas contre Israël, que la Russie n’avait pas vu venir, a été une bénédiction pour le Kremlin. Cela a détourné l’attention du monde et fait dérailler l’aide américaine à l’Ukraine. Le 2 novembre 2023, la Chambre des représentants a voté une aide militaire à Israël de 14,3 milliards de dollars. Mais elle a refusé d’allouer une aide, quatre fois plus importante, à l’Ukraine, que réclamait également la Maison-Blanche.

Joe Biden, lors de sa visite en Israël, aurait dû conseiller à son allié de ne pas bombarder intensément un territoire aussi peuplé que Gaza. Les incursions terrestres ciblées – que Tsahal semble enfin privilégier – sont beaucoup plus efficaces militairement. Et, surtout, elles n’affaiblissent pas le front occidental dans la guerre mondiale de l’information.

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