Ni le mieux ni le pire ne sont survenus depuis dix-huit mois dans la guerre russo-ukrainienne. Le pire eût été l’utilisation de l’arme atomique par l’agresseur et le possible embrasement de tout le continent européen. Le conflit, de moyenne intensité, a pris la forme d’une guerre de positions à l’artillerie où, de part et d’autre, les chefs ont désormais comme priorité de préserver la vie de leurs soldats. Toutes choses égales par ailleurs, on est un peu dans la situation du front occidental à l’hiver 1917-1918, où les stratégies défensives l’emportaient provisoirement sur les offensives à outrance. Le mieux eût été la réussite d’une médiation internationale, débouchant sur un accord de paix entre les frères ennemis.
Successivement ont essayé la Turquie, la papauté, la Chine, l’Indonésie, l’Union africaine, l’Arabie saoudite. Ces médiations ont toutes échoué. Car les prétentions des deux belligérants sont trop divergentes. La Russie veut conserver les territoires qu’elle a saisis et un statut de pays neutre pour sa voisine ; l’Ukraine veut le retour aux frontières de son indépendance (1991), des dommages de guerre et le jugement des Russes responsables d’atrocités.
Comme l’armée russe n’est pas parvenue à défaire l’armée ukrainienne lors de son offensive sur Kiev (février-mars 2022), comme la contre-offensive ukrainienne annoncée pour les mois chauds de 2023 n’est pas parvenue à percer les défenses russes, on est passé à une phase d’attente. Toute la question est de savoir qui se fatiguera de la guerre avant l’autre. En 1918, ce sont les Allemands qui ont craqué en premier. Le 8 août, « jour de deuil de l’armée allemande » pour le général Ludendorff, les Allemands n’eurent plus l’énergie pour résister à l’offensive Foch, qui avait commencé le 18 juillet. En revanche, les Français avaient su résister à quatre offensives allemandes entre mars et juin 1918, leur moral ayant été rehaussé par l’entrée en guerre des Américains à leurs côtés.
Dans le cas de la guerre actuelle en Ukraine, on ne voit pas qui pourrait craquer en premier. Les Ukrainiens ont fait l’admiration du monde entier en résistant victorieusement à une armée réputée être la deuxième du monde. Leur moral est élevé. Entraînés et très bien équipés par les Américains, les Britanniques, les Canadiens, les Polonais, les Français et les Allemands, les soldats ukrainiens sont devenus de redoutables guerriers, d’autant plus qu’ils ont maintenant une vraie expérience du feu.
Diplomatiquement, leur pays a tout l’Occident derrière lui. Même un pays occidental traditionnellement prorusse comme la France est à fond derrière eux. Dans sa conférence aux ambassadeurs du 28 août 2023 à l’Élysée, le président Macron a confirmé que la France poursuivrait son aide financière, militaire et humanitaire à l’Ukraine, réitérant son refus de voir la Russie gagner une telle guerre d’agression « violant de manière flagrante la souveraineté d’un État indépendant en Europe ».
Les Ukrainiens ont-ils à redouter un changement de cap de leur allié américain, tel que la France en a subi un en mars 1920, avec la non-ratification du traité de Versailles ? En tout état de cause, ce retournement stratégique n’interviendrait pas avant le 20 janvier 2025. Et même si Donald Trump revenait à la Maison-Blanche à cette date, il n’est pas du tout certain qu’il lâcherait l’Ukraine. Trump appréciait personnellement Poutine, mais, politiquement, il ne lui a rien donné au cours de son mandat (2017-2021).
L’armée ukrainienne parvient désormais à faire voler des drones jusqu’à Moscou. Des civils russes meurent dans ces attaques. Qui pourrait le reprocher à l’Ukraine, dont la population civile subit des bombardements russes quotidiens depuis février 2022 ? Mais on peut se demander si ces attaques de drones ne sont pas contreproductives, car propres à motiver une population russe relativement passive jusqu’à présent. Si on regarde du côté de la Russie officielle, on ne la voit pas non plus céder. Elle a réorganisé son armée et a construit une ligne Maginot qui semble tenir. Son industrie d’armement marche à plein régime. Elle sait qu’elle bénéficiera toujours du soutien économique de la Chine, en raison de la solidarité des régimes autoritaires.
Les Ukrainiens ont versé tant de sang pour leur liberté qu’ils n’y renonceront jamais. Quant au régime russe, il est allé trop loin pour reculer aujourd’hui. L’affaire Prigojine a montré que le Kremlin ne tolérera désormais plus la moindre critique sur le fondement ou la conduite de sa guerre contre l’Ukraine. L’issue la plus probable à moyen terme est donc un gel du conflit à la coréenne. Ce n’est pas une bonne nouvelle, ni pour le peuple ukrainien, ni pour le peuple russe, ni pour l’Europe. Mais l’Histoire montre que les guerres sans gagnant ni perdant éloignent toujours les perspectives d’une paix solide.
