Devant la multiplication des manifestations anti-françaises en Afrique francophone, en Centrafrique, au Mali, au Burkina Faso, au Sénégal, et maintenant au Niger, beaucoup de nos compatriotes réagissent amèrement. « Puisque les Africains ne nous aiment plus, quittons l’Afrique, c’est un boulet, concentrons-nous sur l’Europe ! », disent-ils de plus en plus fréquemment. Ils ne supportent pas de voir la France se faire insulter par une jeunesse africaine ingrate, alors que, depuis les indépendances accordées il y a plus de deux générations, l’Hexagone a beaucoup donné à l’Afrique, en termes de coopération économique, militaire, culturelle, sanitaire.
On peut comprendre cet énervement français, mais nous commettrions une grave erreur à jeter le bébé avec l’eau du bain. L’histoire mais aussi et surtout l’avenir nous commandent de ne pas baisser les bras en Afrique.
En premier lieu, il nous faut rester circonspects face aux images déformantes de la télévision. Une manifestation d’un millier de jeunes brandissant un drapeau russe, instrumentalisés par la propagande de Wagner sur les réseaux sociaux, ne saurait représenter l’ensemble d’une population. La nation nigérienne tout entière s’est exprimée démocratiquement en février 2021 : elle a élu président, à une majorité de 55 %, le pro-français Mohamed Bazoum.
En Afrique comme ailleurs, nous ne saurions être intimidés par des minorités agissantes manipulées depuis l’étranger. Nous devons les combattre pied à pied idéologiquement. Bien que le sentiment anti-français se soit répandu comme un feu de paille au sein de ces jeunesses francophones depuis trois ou quatre ans, notre combat est tout sauf désespéré. Les liens culturels entre la France et ses anciennes colonies constituent des racines très profondes, capables de résister aux coups de sirocco. Au cours des deux dernières décennies, les radios locales ont proliféré en Afrique. Mais quand, sur tel ou tel dossier sensible, un auditeur africain cherche la vérité, c’est toujours sur RFI qu’il se branche.
Face à ce mouvement anti-français, la pire chose serait de nous adonner à la repentance. Nous pouvons être fiers de la majeure partie de l’œuvre coloniale française en Afrique. Les administrateurs formés à l’École coloniale de l’avenue de l’Observatoire ignoraient la notion de profit. Leur priorité était le développement des populations, pas leur asservissement. Leur obsession était de construire toujours plus d’écoles, plus de routes, plus de barrages, plus de dispensaires, comme le montre le livre de Philippe San Marco, L’Afrique noire, un rêve français. Dans les pas de Paul Vazeilles, broussard de grande brousse (1907-1941).
Même si notre commerce avec l’Afrique ne représente aujourd’hui que 5 % de notre commerce international, il n’y a aucune raison pour abandonner l’Afrique aux Russes et aux Chinois. Ils sont beaucoup moins redoutables qu’on ne le croit. Par son incapacité à faire sienne la notion de soft power, la Russie de Poutine a perdu toute influence en Europe orientale. Comment réussirait-elle chez les Africains sur le long terme, alors qu’elle a échoué dans le monde slave ? Quant à la Chine, les Africains commencent à comprendre qu’elle s’intéresse davantage à leurs matières premières qu’à eux-mêmes.
Est-ce à dire que tout va bien dans le meilleur des mondes pour la politique africaine de la France ? Non. Elle doit être repensée de fond en comble. Elle fut plongée dans une spirale infernale à partir de sa catastrophique intervention militaire en Libye de 2011 – la plus grave erreur de politique étrangère de toute la Ve République. Sur le tard, la France s’était mise à la politique de changement de régime, venue des néoconservateurs américains. En détruisant le régime de Kadhafi, sans solution de remplacement, la France a plongé la Libye dans un chaos dont elle n’est toujours pas sortie. Qui plus est, les armes de l’ex-dictateur furent pillées, puis répandues à travers l’ensemble du Sahel, où elles déstabilisèrent bientôt ces pays amis de la France qu’étaient le Mali, le Tchad, la Mauritanie, le Burkina Faso et le Niger. À partir de 2013, la France commença une deuxième guerre, pour tenter de réparer les effets de la première. Mais échouant à ramener au Sahel la sécurité qui existait du temps de Kadhafi, la France suscita la frustration, puis la défiance des populations. La leçon de Barkhane doit être tirée : plus jamais d’ingérence dans les affaires internes africaines au prétexte de la défense de la « démocratie ».
L’Afrique est démographiquement le continent le plus jeune de la planète. Ses immenses ressources lui donneront un rôle central à moyen terme dans l’économie mondiale. Culturellement, la France y détient un avantage comparatif. Il faut le jouer à fond, aider ceux qui nous le demandent. Et s’abstenir de donner des leçons.
